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17 dicembre 2009 4 17 /12 /dicembre /2009 04:15

Elisa-Chimenti-1.jpgElisa Chimenti, une écrivaine italienne francophone et francophile méconnue

Mohammed-Saâd Zemmouri
Dans cet article, nous nous proposons d'aborder un aspect du récit de vie inédit de l'écrivain d'origine italienne Elisa Chimenti, intitulé Souvenirs d'une Tangéroise,[1] récit qui montre comment chez l'auteur la francophonie se conjugue avec l'universel et l'interculturel. Cette étude sera aussi l'occasion de tirer de l'oubli et faire redécouvrir au lectorat français et francophone cette grande dame aujourd'hui méconnue qui a laissé une œuvre écrite entièrement en français.[2] Le texte sur lequel nous avons travaillé est inédit. Il a été rédigé probablement à partir de notes antérieures et selon certains indices aux alentours des années 1930. On ne connaît pas la date exacte de l'arrivée des Chimenti à Tanger mais la famille s'est installée dans cette ville vers la fin des années 1880 ou au début des années 1890. Son père, Rosario Chimenti était un brillant professeur de médecine napolitain, mais en tant que garibaldien ayant connu des ennuis dans sa ville, il choisit l'exil en Tunisie en 1884 suivi peu après par son épouse et leur fille Elisa, née en 1883. Il s'installa quelques années plus tard au Maroc, sollicité par le sultan Moulay Hassan qui eut besoin de ses services. Il choisit de se fixer à Tanger qui était alors depuis 1856 la capitale diplomatique de l'Empire chérifien. C'est là que grandit, vécut et mourut en 1969 Elisa Chimenti.
 
Il s'agit, il faut bien le souligner, d'une femme admirable à plus d'un titre. Ecrivain de talent,[3] cette femme d'une intelligence aiguë, fut par ailleurs une femme d'ouverture à l'esprit large et d'une culture aussi vaste que variée. Polyglotte et humaniste convaincue, se situant dans le sillage des hommes de la Renaissance et des Lumières, l'interculturel apparaît comme un des traits les plus saillants de son œuvre où se croisent les cultures du monde, religieuses (christianisme, judaïsme et islam) et profanes. Elle fut aussi une philanthrope dévouée et une enseignante et éducatrice infatigable.
 
Cette polyglotte qui maîtrisait à la fois l'italien, sa langue maternelle, l'espagnol, l'anglais, l'allemand, l'arabe, l'hébreu, et surtout le français a pourtant choisi de jeter son dévolu sur cette dernière langue dont elle a usé pour écrire et publier l'ensemble de ses œuvres et qu'elle a apprise à l'Ecole de l'Alliance Israélite de Tanger où elle fit ses études primaires. Le choix du français, comme langue d'écriture, s'explique sans doute comme le souligne Emanuela Benini par le fait qu'étant répandu sur le plan international il lui permettait de toucher un large public.[4]
 
Note liminaire
Dans son récit de vie qui retrace les traits d'une époque et raconte des bribes de la vie d'Européens[5] qu'Elisa Chimenti a côtoyés durant son enfance à Tanger, l'accent est mis sur les Français expatriés résidents dans cette cité cosmopolite. Par ailleurs le lecteur peut noter à côté de ce que l'on peut qualifier de franco-centrisme la manifestation saillante, habituelle et constante, chez elle de la culture humaniste et de sa vocation interculturelle.
 
Quels sont ces « petits blancs » qui sont les « héros » du récit de Chimenti ? Ce sont « des Européens venus chercher fortune dans ce pays bien avant les Protectorats et qui séduits par la magie de son ciel par l'émerveillement de sa lumière, y demeurèrent à jamais. » (1, 4). Il s'agit notamment de Français qui « perdus dans la mare magnum des foules souvent hostiles, (..) surent garder avec la douceur du parler de France, leur gaieté facile, leurs mœurs aimables, leur caractère généreux et, il faut l'avouer, leur chauvinisme exaspéré par d'éternelles discussions avec des étrangers fiers de leur pays et de leur race et peu soucieux de ménager les susceptibilités d'autrui. Humbles pionniers, ils préparèrent à leur insu la voie que devaient suivre plus tard les conquérants aux noms illustres (). C'est de ces pionniers Français qu'amena au Maroc un vent d'adversité ou un besoin d'aventure, que je veux parler aujourd'hui, afin que, exilés volontaires et pourtant nostalgiques, ils reçoivent de leurs frères établis en maîtres, là où ils furent des étrangers souvent malheureux, le tribut d'un sourire, d'une larme et, si ce n'est trop demander, d'un peu de reconnaissance pour l'œuvre qu'ils commencèrent et que nous continuons. » (idem)
 
Le « groupe stable » (1, 27) comprend les personnes suivantes : le marquis de Lauzières, le Docteur G et sa fille (il s'agit de l'auteur et de son père), Mr de Nérac et sa fille, Mr Caillot, De Saint Pierre, Blacas (avocat), Mr et Mme Noblet, Carrel (journaliste) ; parmi les non français sont mentionnés Don Gonzalo del Castillo et Pepe Albo (des Espagnols), Abrines (journaliste anglais), des juifs d'origine italienne, les frères Barcea, etc (1, 27-28) : donc un groupe très cosmopolite reflétant la diversité ethnique et culturelle au sein de la population européenne de l'époque.
 
Quel paraît être leur état d'esprit ? Ils sont décrits par l'écrivain comme des rêveurs, les cœurs lourds de projets et d'illusions, attendant de la vie au Maroc qu'elle les comble espérant y trouver la réussite et la prospérité matérielle (1, 29) ; ils sont partagés entre l'espérance dans leur nouveau pays et la nostalgie de la patrie abandonnée et de plus en plus lointaine.[6]
 
 
LA FRANCE, UNE PATRIE IDEALE POUR UNE ITALIENNE
 
L'influence de la culture française sur Chimenti s'explique tout d'abord par le rôle du père. On peut formuler l'hypothèse assez plausible que le père pratiquait la langue française, chose qui lui permettait de communiquer avec le groupe de Français qu'il fréquentait et où il comptait ses amis.[7] Une indication de l'auteur sur la bibliothèque paternelle conduit à le penser, puisque celle-ci comprend des ouvrages d'auteurs classiques français. D'ailleurs cette propension à s'ouvrir sur cette colonie s'explique sans doute par ses opinions politiques. La France n'est-elle pas en effet le pays de la Révolution, héritière des Lumières, la patrie des droits de l'homme, des idéaux de démocratie et de laïcité, alors que le père de l'auteur a été un garibaldien persécuté en Italie pour ses opinions politiques[8], situation qui l'a obligé à fuir sa patrie pour trouver refuge d'abord en Tunisie puis au Maroc ?
 
Il faut souligner en outre le rôle des amis Français de sa famille qui ont profondément et durablement marqué la jeune Elisa Chimenti : Sorbier le pharmacien, le marquis de Lauzière pour qui elle éprouve une affection particulière et surtout l'avocat Blacas « qui s'était donné pour mission de répandre la langue et la culture françaises au Maroc et qui pour ce faire ne ménageait ni sa voix ni son temps, ni sa fortune. Ne s'était-il pas avisé , afin de nous enseigner à connaître la France et à l'aimer, de se proposer à nos parents comme professeur d'histoire. Cette proposition avait été accueillie avec enthousiasme par nous qui aimions l'avocat et nous faisions une fête de travailler avec lui. Nos parents furent pleinement satisfaits et Blacas se montra un professeur habile (trop habile hélas ! car aimant la France par son fait il nous fut souvent rappelé sans douceur au moment où nous nous efforcions de la servir que nous n'étions que des étrangers). » (1,102)
 
Professeur efficace et maître dont les paroles et l'enseignement marquèrent profondément les esprits et conquirent les cœurs de ces jeunes étrangers. Citons l'auteur lorsqu'elle décrit cette influence « Après quelques mois de leçons, Fleur d'Epine [surnom de l'auteur, jeune fille] parlait de « la prospérité qui marque la marche civilisatrice de la République Française ! », Cesare, le fils de l'avocat Santini, voulait occire les Anglais qu'il rencontrait, au petit souk ou sur la plage, afin de venger la mort de Jeanne D'arc ; Bob [le frère de l'auteur] ne jurait plus que par le chevalier Bayard et tous, Français et étrangers, nous connaissions les gloires grandes et petites de la France que nous croyions le plus beau pays du monde, l'Unique avec une majuscule, et pour laquelle nous aurions donné joyeusement notre vie. »[9] (1,103)
 
Enfin il faut souligner la part de l'influence de la scolarisation de la petite Elisa Chimenti inscrite à l'Ecole de l'Alliance Israélite Universelle.[10] L'enseignement s'y faisait comme on le sait en langue française et porte essentiellement sur la culture française.
 
Aussi Elisa Chimenti aimait-elle avec ferveur la France à laquelle elle s'identifie, faisant abstraction de ses origines italiennes, et qu'elle défend tout au long de son récit. Elle y raconte qu'au sein de la colonie européenne, la France a des « ennemis », des personnes appartenant à d'autres nationalités et qui, par patriotisme ou chauvinisme, défendent le parti de leur pays dont ils souhaitent le triomphe au Maroc en s'opposant farouchement aux prétentions de la France et des Français. Ils constituent, dit-elle, le groupe des « francophobes » (52) qui comprend, c'est de bonne guerre, aussi bien des Anglais, des Allemands que des Espagnols tous convaincus de l'excellence de leur nation respective, de ses mérites, de sa puissance et de ses droits à conquérir et dominer les pays faibles et qui convoite dans cette perspective une proie aussi alléchante que le Maroc.
 
Elisa Chimenti enfant, n'éprouvait aucune sympathie pour ces francophobes. Certes elle n'a pas l'esprit chauvin et n'a rien d'une fanatique. Parmi les Français elle critique ceux qui affiche des sentiments nationalistes ou chauvins. C'est le cas du pharmacien Edouard Sorbier chez qui le groupe des petits blancs se réunit. Mais cependant elle demeure pour plusieurs raisons une francophile pour qui la France est un pays modèle qu'elle admire. En effet, enfant alors qu'elle assiste souvent à ces vives discussions chauvines où prévaut l'esprit polémique et où s'échangent les insultes et les jugements dépréciatifs des uns à l'adresse des autres, elle défend avec fougue son « camp », son admiration allant vers la France dont elle se fait l'avocat contre les critiques considérées comme infondées, venant de l'Espagnol Pepe Albo, de l'Anglais T. Abrines ou de l'Allemand Von Schlecht, lequel prétend qu'il n'y a jamais eu d'« invention » ou de « victoire » française et à qui, « insolente » (1, 54) elle répond : « animal, va, on voit bien que tu n'as jamais étudié l'histoire, sans quoi » (1, 55). Avec son frère cadet (Bob) elle lance à cet Allemand chauvin et « raciste » « des regards furibonds » et pour « venger l'honneur de la France enduisaient sa chaise de goudron » ! (id.)
 
Cet amour de la France s'explique et se justifie par ce que représente ce pays comme valeurs aux yeux de Chimenti : culture humaniste, Lumières, libertés et droits de l'homme, tolérance, etc.. Pour mieux comprendre l'admiration et l'attachement d'Elisa Chimenti envers la France et les valeurs qu'elle incarne à ses yeux, signalons aussi l'opinion de certains indigènes, gens simples qui travaillaient au service de la famille de l'auteur ou d'autres petits blancs et dont elle se fait l'écho dans son récit. Pour ces humbles Marocains qui sont au contact des Européens de diverses nationalités et qui comparent entre leurs conceptions et attitudes respectives, la France suscite l'admiration.
 
Pour Driss, un des domestiques, au service des petits blancs, en comparaison avec les Anglais très intéressés, les Français sont plutôt désintéressés et généreux, il en veut pour preuve l'aide qu'ils accordent sans contrepartie aux indigènes, notamment les soins médicaux, tandis que les missionnaires anglais monnayent dans leur hôpital leurs services en exigeant des autochtones qu'ils : « chantent les chansons de Sidna Aissa [Notre Seigneur Jésus] et te demandent de renier la foi de tes pères avant de te donner un sou poison ». Ces procédés suscitent l'indignation dans un pays où la pauvreté est grande et offusquent ces gens simples qui trouvent scandaleux que les questions spirituelles soient matière à marchandage. Mais le plus important dans la représentation de la France et l'appréciation positive qui en résulte ce sont deux principes incarnés par ce pays : la justice et la liberté religieuse. Citons ici ces bribes du dialogue entre un chef de village et Driss : 
« - Qu'est-ce donc qui rend ce pays si glorieux ?
Et Driss :  « son amour de la justice, son respect de la religion des gens » (3,431) 
 
Ces opinions francophiles ne sont pas éloignées des sentiments de Chimenti elle-même. La France est donc pour ces non Français des principes et un idéal qu'elle incarne. Les Français pour lesquels Chimenti éprouve de l'admiration sont ceux dont les idées rejoignent celles de son père qui critique le racisme, l'impérialisme et le colonialisme. Il s'agit notamment du marquis de Lauzière qui déteste le chauvinisme, et défend un idéal humaniste. Citons Chimenti à son sujet : « bon Français, mais non point de ceux qui divinisent la patrie afin de se donner le droit de mépriser et de haïr en son nom. » (1, 47) A la différence de bien des Européens qui étaient venus chercher au Maroc la fortune ou l'aventure, lui était plutôt attiré par le mysticisme et l'appel de l'islam auquel il se convertira plus tard. (id.) Il y aussi le cas de cet autre Français, Desprairie qui a de « l'estime pour les humbles » ; antimilitariste convaincu, il raille les chauvins et défend lui aussi des vues humanistes en affirmant, devant un auditoire plutôt choqué par ses opinions iconoclastes : « qu'être Français ou autre chose, c'est kif kif bourricot. On est tous des hommes.» (1, 112). Elisa Chimenti évoque aussi un personnage remarquable qui s'est signalé à l'époque du bombardement de Tanger par le Prince de Joinville en 1844, pour sa conduite héroïque et noble en préférant rester parmi la population autochtone par solidarité, au lieu d'embarquer avec les autres Européens pour gagner Gibraltar.[11] L'auteur cite ce Français, Favier[12] qui explique ainsi son attitude :  « je refusai de m'embarquer, j'avais toujours vécu avec eux... Il me semblait mal de les quitter au moment du malheur alors qu'il nous avait soufferts dans le bonheur et l'abondance... » (1, 176) 
 
Ces positions rejoignent au demeurant celles de l'auteur elle-même et de son père. Ce dernier, garibaldien et homme de gauche condamne le racisme et le nationalisme agressif et conquérant. Elisa Chimenti rapporte ainsi l'opinion de son père pour lequel : « les hommes divinisent la patrie et la race afin d'avoir le droit de persécuter en leur nom ». (3, 518) Elle le présente aussi dans son récit comme aimant « les hommes sans distinction de race ou de nationalité ». (1,45) Cette conception sera aussi toujours celle d'Elisa Chimenti, sa fille. 
 
Leur idéal est résumé par le socialiste espagnol, Fermin Salvochea, qui a choisi l'exil au Maroc après avoir connu la persécution dans son pays. Pour cet ami pacifiste de son père qui fustige les nationalismes des Européens, les haines entre les peuples sont une barbarie ; lui, rêve de réaliser « l'universelle fraternité » et « d'effacer les frontières ». (1,107) 
 
Elisa Chimenti se situe dans le sillage de ces Européens, solidaires des peuples, condamnant le racisme abject et rejetant l'impérialisme et ses dérives. Dans son récit elle défend avec vigueur les droits nationaux du Maroc à la veille du Protectorat. Très critique sur l'entreprise impérialiste qui menaçait la souveraineté de l'Empire chérifien, elle défend dans plusieurs passages le droit du gouvernement marocain de défendre par les mesures qu'il juge opportun ses intérêts politiques et économiques. De même qu'elle critique sévèrement ce qu'elle considère de la part des Européens des pratiques déshonorantes.[13] 
 
 
LE RECIT DE CHIMENTI COMME ESPACE DE L'HUMANISME ET DE L'INTERCULTUREL
L'éducation familiale que Chimenti a reçue a développé très tôt chez elle des tendances à l'ouverture, à la tolérance, au respect de l'autre différent. La culture juive qu'elle découvre à l'école puis à travers la lecture assidue de la Bible la marquera profondément. A cela il convient d'ajouter l'ouverture sur les indigènes musulmans tant de la famille que d'Elisa Chimenti qui fréquente les Marocains dont elle connaîtra parfaitement la langue, la culture, les croyances, les mœurs et les coutumes. Elle a grandi par ailleurs dans une ville et un milieu cosmopolite, fréquentant depuis son enfance des femmes et des hommes venant des horizons les plus divers. Des Européens principalement, Espagnols, Anglais, Français, Italiens, etc.. Cette situation de mosaïque ethnique était reflétée par les habitués de la Pharmacie Sorbier. Tous ces faits et facteurs permettent de comprendre cet humanisme profondément ancré chez Chimenti de même que la vocation interculturelle qui fut la sienne.
 
L'humanisme qui remonte au 15ème et 16ème siècles en Occident puis se prolonge au 18ème siècle, cette pensée qui place au centre de ses préoccupations l'homme en défendant son respect et sa dignité, en visant son progrès par la connaissance et l'élévation morale, en poursuivant son épanouissement total, tant au plan intellectuel, spirituel que matériel, en œuvrant pour les valeurs de tolérance et de liberté et en refusant les dogmatismes, se trouve au cœur de l'œuvre de Chimenti.[14]
 
Ayant vécu au Maroc/Maghreb, cet Occident de l'Orient et Orient de l'Occident, Chimenti s'est dédiée en tant qu'écrivain (comme journaliste aussi) à la tâche consistant à faire comprendre le monde arabo-musulman à l'Occident et à influencer le monde musulman pour l'amener à établir des relations harmonieuses avec l'Occident. Il s'agit là d'une autre dimension de cet humanisme.
 
Elisa Chimenti exprime dans son récit une mise en cause des haines raciales, des nationalismes agressifs et s'attaque aux préjugés ethniques et les stéréotypes qui circulent sur les Autres.
 
En effet la condamnation du racisme parcourt de bout en bout son récit. Si elle admire les petits blancs au milieu desquels elle fut élevée, c'est qu'à la différence de certains Européens, notamment quelques Allemands et Anglais, ils étaient exempts de racisme. Les « petits blancs » pour lesquels elle témoigne condamnent sans relâche les opinions qui préfiguraient à l'époque (fin du 19ème siècle) les théories raciales qui entraîneront les drames terribles du 20ème siècle. Ils « se moquaient de ces racistes avant la lettre, assuraient que nous descendions tous d'Adam () et continuaient à fréquenter tous les Tangérois quelle que fut leur race et leur origine. » (1, 59) C'est pourquoi explique l'auteur leur « cénacle » admettait « nombre de Marocains, quelques israélites et même un ou deux Indiens venus de l'Amérique du Sud avec de riches marchands de la ville. » (1, 59)
 
Chimenti signale de manière récurrente ce racisme qui vise aussi bien les Marocains que d'autres Européens. Il s'agit surtout d'Allemands pour qui les indigènes sont des « barbares » alors que les Européens qui acceptent de les fréquenter sont considérés comme des « dégénérés » (1,108). Elisa Chimenti rapporte ainsi leur manière de voir : « le tempérament des Latins étaient très proches de celui des races noires, ils ne pouvaient que perdre au contact des « populations barbares » du Maghrib. » (1,59)[15] 
 
Forme particulière de ce racisme, l'antisémitisme[16] constitue une plaie qui suscite l'indignation de Chimenti. Elle le dénonce aussi bien chez certains autochtones que chez certains Européens. Abordons en premier celui qui est le fait des indigènes musulmans. Elisa Chimenti femme de grand courage et au sens éthique vif, lequel implique chez elle responsabilité et œuvre éducatrice, n'hésite pas à intervenir pour critiquer et surtout corriger chez les gens des opinions et des attitudes qu'elle juge condamnable comme le racisme et particulièrement l'antisémitisme. Citons un passage sous forme de dialogue révélateur de sa personnalité, de son attitude et de son action où elle interpelle avec fermeté mais sagesse le chef de bande d'une « troupe de jeunes voyous » qui s'attaquent dans une rue à des juives en leur lançant des pierres :
« - Tu me connais, n'est-ce pas ? Comme si j'avais été une personne d'importance !
- Non je ne te connais pas, me dit-il, tu es une nazaréenne.
- Il y a nazaréen et nazaréen Je viens de Tunis où les musulmans sont fort attachés à la « loi » et veulent que leur nom soit respecté.
- Que m'importe !
- Ah ! cela t'es indifférent qu'on dise que les musulmans sont lâches, qu'ils attaquent des femmes, de vieilles femmes qui ne peuvent se défendre ? Ecoute-moi bien : j'écris dans les « gouazet » (les journaux) [allusion à son métier de journaliste] je dis aux chrétiens que ton pays est le plus beau du monde, que c'est une terre de vaillants guerriers Veux-tu qu'on dise que je mens.
- Les chrétiens mentent toujours
- Est-ce que je mens lorsque je dis que les Marocains sont généreux et braves ?
- Non, répondit-il à regret, mais il laisse tomber la pierre qu'il se disposait à lancer à la vieille Simi ou à la jeune Esther ou peut-être à la « romaine » que je suis. » (3,565)
 
Cependant Chimenti sait que ces actes ou ces opinions sont loin d'être partagés par tous. Le Maroc demeure à ses yeux un pays où les juifs sont respectés par la population et au plus haut niveau de l'Etat, les Sultans tiennent à garantir à la communauté israélite le droit à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens et témoignent à l'égard de cette communauté une sollicitude particulière.
 
C'est pourquoi, suivant une technique qui évoque celle du collage, dans la même page où elle narre l'anecdote sus-mentionnée, elle évoque le geste du monarque Moulay Hassan (1830-1894) qui adresse une lettre aux autorités de la ville de Chaouen pour leur demander d'assurer la protection aux juifs de cette localité. Le même roi, à l'occasion du mariage de son frère le Prince Moulay Mohammed, « aurait donné aux Israélites de Marrakech un banquet qui aurait duré huit jours. » (3,565).
 
Au demeurant l'antisémitisme n'est pas l'apanage des ces indigènes. Elisa Chimenti signale aussi celui qui existe au sein de la communauté européenne où demeure vivace chez les catholiques d'anciennes croyances anti-juives qui se manifestent à l'occasion de la Pâque juive lorsque la jeune Elisa Chimenti et ses sœurs acceptent de manger les galettes azymes offertes par leurs amies de l'école, malgré les mises en garde de leurs coreligionnaires pour qui elles ont été pétries avec « le sang de chrétiens » ; mais les fillettes sont indifférentes à ce genre d'accusations auxquelles elles n'accordent aucun crédit ; elles partagent des moments de joie avec leur amies juives en participant à leurs fêtes. Elle dénonce le racisme et l'antisémitisme de certains Espagnols fanatisés par leur foi : « dans les patios où nichent des populations européennes aux costumes bizarres, aux passions vives, à la foi agressive. Xénophobes et racistes, imperméables à la civilisation, leurs femmes et leurs enfants y lapident les étrangers et y brûlent parmi les quolibets et les rires des mannequins aux noms bibliques. » (1,131)
 
Le fanatisme religieux qui apparaît en filigrane dans cette citation constitue par ailleurs un autre trait saillant commun aux différentes communautés, sur fond de rivalités et de conflits séculaires entre chrétienté et monde musulman. L'écrivaine qui en observe les diverses manifestations dans la société pluriconfessionnelle de Tanger et qui le rencontre à travers les chroniques historiques le critique avec vigueur dans son récit. En tout cas, elle ne le voit pas dans un seul camp, il n'existe pas à cet égard d'exclusivité. Faisant allusion au passé de ce pays qui fut un des théâtres de ces luttes entre pays d'islam et Etats chrétiens d'Europe, notre écrivain dénonce aussi bien le « fanatisme des foules » musulmanes manifesté contre les Européens qui périrent dans les cachots au Maroc que le « fanatisme pareil » des chrétiens pour « les mosquées transformées en églises » (3, 491).
 
Ce fanatisme continue d'être vivace, attisé par ceux qui prêchent la haine et les idées de conquête à une époque troublée et lourde d'événements qui devaient aboutir à la domination impérialiste de puissances européennes sur des territoires musulmans. La dimension religieuse est bien entendu présente dans cette épreuve de force qui oppose l'Empire chérifien débilité et désarmé face à la volonté hégémonique des nations européennes ayant des prétentions à le dominer. Chimenti observe avec inquiétude des signes, des gestes, des actes, au sein d'une population qui voit avec impuissance et humiliation un ordre étranger s'imposer inéluctablement et si elle comprend et justifie leur droit à résister aux tentatives de domination étrangère, toute forme de fanatisme, source de racisme et de xénophobie.
 
Elle l'observe et le critique dans les mentalités populaires et dans l'attitude ou comportement des gens frustes et incultes qui ont de l'islam une conception rétrograde. Sur ce point elle dresse une analyse d'une rare clairvoyance sur les rapports à cette époque des indigènes avec l'islam : « la lettre plus que l'esprit du Coran, -moins de croyances que de rites et moins de rites que de superstitions. Sentiments religieux fort, implacable, fanatisme né de l'ambition qu'eut l'Espagne de donner à l'Eglise ces empires des Africains blancs, immobilisation du passé, dédain du présent, indifférence de l'avenir. » (1,7)
 
Cette manière de voir et d'analyser nous paraît intéressante parce qu'elle révèle chez l'auteur cette capacité à déconstruire toute vision stéréotypée de l'Autre et des préjugés qui circulent sur lui. La lecture du récit de Chimenti laisse voir cette attitude fondamentale chez elle. Ce texte apparaît dans un sens comme un récit d'apprentissage dans la mesure où il narre les circonstances multiples et diverses -expériences, lectures, discussions, relations, etc.- à travers lesquelles elle évolue dans la formation de sa pensée de femme mûre. Le résultat est que notre écrivain en est venu à un dépassement des stéréotypes et préjugés stigmatisant tel ou tel groupe. Aussi au lieu d'accuser l'ensemble d'une communauté pour les fautes ou crimes commis par un de ses membres, ou ce qui revient au même à expliquer un trait négatif chez un individu par une essence ethnique quelconque, Chimenti préfère-t-elle plutôt mettre en exergue l'humaine condition ; les hommes se ressemblent et leurs comportements découlent alors de l'éducation et des valeurs qui les ont façonnés. Elle pense comme le journaliste anglais Abrines, qu'il faut dire que ce sont « les hommes » qui « sont cruels » plutôt que d'incriminer par exemple l'ensemble des slaves parce que des individus d'origine slave ont commis quelques crimes odieux.[17]
 
Dans cette même perspective elle signale des faits afin de battre en brèche l'idée que la société autochtone est fermée ou repliée sur elle-même, qu'elle sécrète la xénophobie ou que la religion musulmane institue et encourage les discriminations entre les hommes sur des bases confessionnelles. Evoquant le problème chronique à l'époque de  la rareté de l'eau à Tanger, elle tient à souligner que « la mosquée se montre généreuse et donne volontiers quelques bidons d'eau pure, aux infidèles aussi bien qu'aux croyants » (3, 567). D'un autre côté elle salue le courage, le dévouement et le don de soi de marins marocains qui régulièrement tentent de sauver des vies humaines, surtout celles d'Européens dans le détroit : « ces pauvres gens se dévouent toujours et souvent périssent lorsqu'il s'agit de sauver des naufragés quelle que soit leur race ou leur religion. » (3,568-569)[18]
 
Le dialogue des cultures ou des civilisations constitue un des traits majeurs de la posture humaniste d'Elisa Chimenti. Cette volonté de comprendre et de faire dialoguer au lieu de hiérarchiser les cultures, d'en dévaloriser, d'écraser ou de dominer certaines au nom d'une civilisation supérieure est au cœur de la démarche de cette femme qui eut la chance de vivre dans une société multiculturelle et particulièrement d'être située en un lieu où se produisait la rencontre de l'Occident et l'Orient musulman. Cette question est, comme chacun le sait, d'actualité aujourd'hui avec le débat sur les rapports entre ces deux mondes, qui pour d'aucuns sont irréductiblement opposés et ne peuvent que générer le conflit alors que pour d'autres ils peuvent établir entre eux un dialogue constructif.
 
Elle croit à l'espoir d'une possible entente entre ces deux civilisations pourvu que chaque partie fasse l'effort de comprendre et respecter l'autre et surtout de vouloir se remettre en question pour « trouver ce terrain d'entente ». Notons la lucidité critique et l'impartialité de notre écrivain dans cette interrogation : « A qui la faute ? Est-ce chez nous, comme le prétend Sorbier, impossibilité d'interroger cette âme ? Manque de curiosité ou de ce don précieux de fraternité humaine qui nous permet de communiquer avec les simples ? Est-­ce de leur part le même dédain, la même incuriosité coupable avec en plus la haine née d'une foi mal comprise qui nous rendent ainsi étrangers les uns aux autres, nous empêchent de trouver un terrain d'entente dans les émotions simples communes à toute l'humanité ? » Voilà le souci, le désir et le projet de cette grande femme qui se voulait le « link », le lien entre deux mondes qui ont préféré souvent s'ignorer, se mépriser, voire se haïr, au lieu d'aller avec courage l'un vers l'autre, oubliant que la sagesse réside dans la reconnaissance de l'autre, et que celle-ci passe par une remise  en question de soi. C'est ce que nous dégageons de la leçon d'humanisme d'Elisa Chimenti : « nous ne pourrons nous rencontrer avec les musulmans, qu'alors qu'ils auront appris à ne plus dédaigner le présent et que nous aurons appris à faire une part au passé dans nos préoccupation et nos rêves. » (1, 133)
 
Grâce à ces efforts de rapprochement, Chimenti entrevoit l'espoir de réalisation du précepte évangélique de l'amour du prochain : « nous formons au Maroc une seule et grande famille dont chaque membre quelle que soit sa race ou sa nationalité, doit aux autres, aide et secours. Sans oublier les malentendus, les haines qui nous séparent, nous essayons d'apprendre à nous connaître en attendant le jour, où obéissant au précepte de l'Evangile nous saurons nous aimer. » (2, 217)
 
Cette volonté d'ouverture, de communion, de partage, de dialogue interculturel parcourt ainsi le récit parce qu'elle constitue une des dimensions essentielles de l'être chimentien. Citons encore ce passage où les parents font bien ressortir ce qui les distingue de leurs enfants qui ont grandi dans ce milieu indigène avec lequel ils ont tissé des relations intimes : « alors que nous nous acclimatons difficilement, que nous apprenons avec lenteur la langue du pays et qu'en vain essayons-nous de tendre la main aux Marocains par dessus la barrière qui sépare nos deux races, nos deux civilisations, nos deux foi et qu'après de longues année de séjour dans cet Occident africain, nous ne sommes pas encore des Marocains, tout en ayant cessé d'être de véritables Européens, eux considèrent le Maghrib comme leur patrie et les Musulmans comme des frères, sans pour cela cesser d'aimer cette abstraction qu'est pour eux la France. » (1,169)[19] A la différence de l'image dominante dévalorisante de ce pays élaborée par de nombreux voyageurs étrangers, Chimenti nous laisse une représentation insolite sur le Maroc « terre de toutes les libertés » qui les a subjugués par ses coutumes, sa culture ; d'où cette question « pourront-ils demain accepter la vie d'Occident avec ses limitations, ses préjugés, son ignorance de toute civilisation autre que la sienne ? » Sorbier, le pharmacien prédit : « mieux acclimatés que nous au sol où il leur faudra vivre, connaissant bien le Maroc et aimant les Marocains, ils seront le « link », l'anneau de la chaîne qui nous unira un jour à ce pays. »
 
Précurseur du dialogue des civilisations, Elisa Chimenti est également un précurseur d'une tradition plurielle de la francophonie, espace et vecteur d'une véritable culture plurielle faisant usage de la langue française. Le récit de souvenirs que nous analysons ici est un témoignage peut être unique en son genre du fait de la diversité des langues qui y sont utilisées. L'intertextualité y est débordante, elle est diverse par ses références linguistiques et culturelles à tel point qu'on pourrait parler à propos de ce récit chez notre auteur d'une esthétique de la diversité. Ecrivain polyglotte, elle a pu faire des textes francophones qu'elle a écrits et particulièrement de celui qui fait l'objet de notre étude, un cas remarquable du métissage, du pluralisme et de l'hybridité. Ce texte écrit en français accueille ainsi en son sein la langue et la culture arabe, les termes du dialecte local et la culture populaire marocaine, le yiddish indigène appelé le « haquiteou », les langues et les cultures européennes. L'espace nous manque ici pour développer et illustrer cette tendance saillante du texte chimentien, celle du dialogisme culturel. Nous nous contenterons d'un exemple pour illustrer cet aspect. Dans un chapitre remarquable le récit narre une de ces soirées où autour de Blacas, l'avocat humanitaire, amateur de poésie, oubliant un moment leurs rivalités pour communier dans la culture, les petits blancs de diverses nationalités déclament à tour de rôle de la poésie dans les langues différentes de l'Europe. Une véritable Babel se constitue alors autour de grands poètes européens. Dans une atmosphère faite de recueillement, tandis que l'un d'eux déclament de la poésie, les autres écoutent émus et songeurs les vers qui enchantent l'auditoire. On y écoutait Schaeffer réciter en allemand « le Roi des Aulnes » puis Digny-Cambrais disait un poème français ou anglais, suivi de l'Espagnol Pépé Albo qui évoquait des poèmes d'Andalousie ; d'autres prenaient la relève, Si Moustapha qui lisait les poètes arabes classiques, le Français De Lauzières qui récitait en italien des extraits de Dante, Blacas enfin faisait goûter à l'assistance éblouie les « grands poètes de France ». Un cas parmi tant d'autres de la polyphonie qui caractérise le récit de Chimenti, texte où la langue française est à l'honneur mais avec laquelle s'entrelace l'espagnol, l'italien, l'anglais, l'allemand, l'arabe Souvent espace dialogique et lieu du pluralisme linguistique, le récit de Chimenti apparaît comme un texte entremêlant divers idiomes, chose qui traduit au delà du remarquable cosmopolitisme de Tanger à cette époque, la primauté de l'interculturel chez notre écrivain.
 
 
CONCLUSION
 
Chimenti, écrivain francophone méconnu, mériterait qu'on la tire de l'oubli. Fervente admiratrice de la France et de sa tradition culturelle, elle paraît incarner à travers son récit de souvenirs une volonté profonde d'un dialogue interculturel, une généreuse tradition humaniste nourrie dans le meilleur des cultures mondiales, un esprit universel qui réussit à transcender l'européocentrisme pour embrasser les différentes cultures humaines, elle pouvait se vanter d'une connaissance de la littérature et de la culture arabe classique ainsi que de la culture populaire marocaine et cette remarquable ouverture sur cette aire culturelle et la sympathie qu'elle éprouve pour le monde arabe et musulman explique la formule par laquelle certains la qualifie, celle d'une « arabophile enragée » (2,389 et 3,574). A la connaissance de la culture islamique, elle ajoutait aussi celle du judaïsme. Nourrie aussi dans la tradition chrétienne et dans la culture profane occidentale, avec elle, la francophonie trouve un grand écrivain qui, en avance sur son temps, incarne cette conception novatrice et moderne d'une francophonie non pas centrée sur la France, mais offrant un cadre linguistique accueillant la diversité et la richesse culturelle de tous ceux, d'origines et d'appartenances diverses, qui, pour quelque raison et motif que ce soit, font usage de la langue française. Intermédiaire, médiatrice, traductrice, passeur de cultures, comparatiste non professionnelle mais par vocation, elle mériterait qu'on cite à son propos ce que Daniel Henri Pageaux a écrit sur la vocation de l'homo viator et qui correspond parfaitement à Elisa Chimenti : « la traversée des espaces étrangers, la quête passionnée de la pensée de l'Autre, les déambulations dans les bibliothèques (). Non point à la manière d'un cosmopolitisme superficiel et avide ; non point comme un perpétuel errant, frappant aux portes de l'étranger pour chercher une quelconque subsistance, voire une justification. (). Voyageur, le comparatiste l'est parce qu'il n'oublie pas le chemin du retour, tandis qu'il avance sur des terres nouvelles ; parce qu'il aspire à être le lieu d'échanges incessants entre ce qu'il découvre et ce qu'il n'a jamais quitté ; parce qu'il transporte dans ses bagages une arche d'alliance, un outil de compréhension interculturelle.» (Pageaux, 1994, 40).
 
 
Mohammed-Saâd Zemmouri
 
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
 
Ouvrages cités
 
Miège, Jean-Louis, Le Maroc et l'Europe, 1830-1894, Rabat, La Porte, 1989
 
Pageaux, Daniel-Henri, La littérature générale et comparée, Paris, Armand Colin, 1994
 
Saïd, Edward W., Culture et impérialisme, Paris, Fayard/Le Monde diplomatique, 2000
 
 
Article
 
Benini, Emanuela, Elisa Chimenti (Napoli 1883- Tangeri 1969) : una donna mediterranea, in site électronique Arabroma (Il sito della cultura arabe)


[1]Il comprend trois volumes dactylographiés de 603 pages, numérotés par l'auteur de 1 à 3. Les citations de ce récit sont accompagnées de deux chiffres, le premier renvoie au volume, le second à la page.
[2]Notable exception, on a fait paraître en 2000 une traduction en Italie d'un des ses textes Au cœur du harem (Editions du Scorpion, Paris, 1958) sous le titre Al cuore dell'harem, Edizione E/O, Roma, 2000.
[3]Ecrivain de talent, Elisa Chimenti nous a laissé une œuvre abondante inspirée du Maroc, des mœurs, des mentalités et de la culture des autochtones dans sa richesse et sa diversité (arabe, berbère et judaïque). Elle a écrit dans les genres les plus divers : romans, récits, contes, nouvelles, poésies Certains de ses textes ont connu un vif succès à l'époque, mais beaucoup sont des inédits que l'on pouvait consulter dans ses archives déposées au Consulat d'Italie à Tanger. Citons pour les œuvres publiées : Eves marocaines (1934), Chants de femmes arabes (1942), Au cœur du harem (1958), Le sortilège et autres contes séphardites (1964)
[4] « La Chimenti scriveva essenzialmente in francese, lingua di ampia divulgazione internazionale e compresa da molti tangerini. » (« Chimenti écrivait en français, langue largement répandue sur le plan international et comprise de beaucoup de Tangérois. ») in « Elisa Chimenti (Napoli 1883- Tangeri 1969) : una donna mediterranea » (Elisa Chimenti (Naples 1883-Tanger 1969) : une femme méditerranéenne ») Texte présenté dans le cadre d'une rencontre en Italie autour de femmes méditerranéennes, mis en ligne sur le site Arabroma (Il sito della cultura arabe) (Le site de la culture arabe).
[5]Voir sur ces Européens, l'ouvrage en 5 volumes de l'historien Jean-Louis Miège : Le Maroc et l'Europe, 1830-1894 Edition La Porte, Rabat, 1989. L'historien mentionne Chimenti comme une de ses informatrices sur la population européenne.
[6]Un de leur lieu de réunion privilégié, c'est la « pharmacie française » qui appartient à Edouard Sorbier (1,29), désignée aussi par le terme arabe de « douiria » (en arabe dialectal, la maisonnette) (1,29)
[7]Nous pouvons lire dans ce sens que parmi les « grands amis du Docteur » il y avait les Français, tels « le pharmacien (Sorbier), le marquis de Lauzière, Blacas, l'avocat () » (1,43)
[8]Emmanuela Benini, une des rares personnes à connaître la biographie -encore pleine de trous- de notre écrivain le présente comme un Garibaldien et un libre penseur. (art.cit.)  Sur les opinions politiques de son père, citons ces renseignements de l'auteur dans cette confidence à une amie : « Il aimait les hommes sans distinction de race ou de nationalité. Il préférait les riches aux pauvres, prétendant ainsi obéir à la loi du Christ. » (1, 44) Quelques lignes plus loin le père est présenté comme « un leader socialiste » (1, 45) ; il rêve de sauver les peuples de la « misère et de la servitude ».
[9] Cette francophilie nous la trouvons chez d'autres étrangers notamment un Sicilien qui s'est enrichi en Tunisie (alors sous Protectorat Français) et qui en garde une profonde reconnaissance à la France. L'auteur cite une chanson plaisante en italien qu'il aimait fredonner dont voici la traduction : « Nous ne voulons pas des Allemands/ Des Espagnols encore moins,/Les Français sont mon âme/Je veux aimer les Français. » (107)
[10]« Nous fréquentions, mes sœurs et moi, l'école de l'Alliance Israélite Universelle. Il n'y en avait pas d'autres au Maroc à ce moment si on excepte celle des religieuses franciscaines où l'on apprenait, avec le castillan, la musique et les arts d'agréments. » (2,301)
[11]A chaque alerte au 19ème des navires européens étaient dépêchés pour évacuer la population européenne vers l'enclave britannique Gibraltar
[12]Dans son livre Le Maroc et l'Europe, Tome 2, l'historien Jean-Louis Miège mentionne la famille Favier de Tanger. Voir p. 481, n.4 et p.488, n.2 (Editions La Porte, Rabat, 1989)
[13]Elle dénonce ainsi, en évoquant des anecdotes multiples, « toutes les fautes, tous les abus, tous les crimes qui avaient déshonoré notre petite colonie européenne » (3,  518)
[14] Dans la promotion de l'humanisme le mérite de Chimenti est d'autant plus grand qu'elle ne tombe pas dans ce que Edward Saïd relevait quand il critiquait le courant qui en Occident incarnait l'humanisme mais en l'associant au nationalisme, autrement dit ces penseurs qui tout en glorifiant « l'humanité ou la culture célébraient essentiellement des idées et valeurs qu'ils attribuait à leurs propres pays, ou à l'Europe, par opposition à l'Orient, l'Afrique ou l'Amérique latine. » (Saïd, 2000, 88). Elisa semble incarner une toute autre tradition plus conséquente en intégrant dans cet humanisme d'autres traditions culturelles.
[15] Le récit fait écho à l'opinion d'un Allemand, Von Eichenwald qui croit à la supériorité raciale des Européens nordiques et fustige les Latins qui se laissent influencer par la culture indigène : « la race s'oublie, la religion du pays comme sa langue s'adoptent, les mœurs vous conquièrent... voyez vos enfants ! » (2,226) Elisa cite son credo : « place à la race supérieure et que périssent les vaincus ! » (2,235)
[16]Les fillettes juives de l'école ne sont pas pour elle de simples camarades, ce sont des « amies » (3,571).
[17] Citons ce dialogue : « -les Slaves, naturellement, sont cruels, dit Desprairies.
- Dites les hommes, corrigea Abrines, le journaliste anglais. » (3,523). Sur les juifs elle note dans le même sens l'évolution qui s'est accomplie chez elle depuis le temps où enfant elle pensait, comme le prétendait l'opinion commune, que cette communauté adorait l'argent et les valeurs matérielles. Elle finit par savoir qu'il s'agit là d'un préjugé ethnico-religieux car en fait « tous les hommes de toutes les races et de tous les pays ont de tout temps fumer l'encens devant le veau d'or. » (1, 45)
[18]Dans le même passage elle salue le geste du roi du Portugal qui a décoré de l'ordre du mérite philanthropique deux matelots arabes « qui se distinguèrent pour leur courage et leur dévouement lors du naufrage de deux vapeurs portugais. () Bravo S.M. portugaise ! C'est bien la première fois qu'un Européen et quel Européen ! se montre reconnaissant envers des Marocains. » (3,568). 
[19] C'est nous qui soulignons.

09/10/2006

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